Bataille de pouvoirs en vue autour des futures agences régionales de santé
Le texte, en examen au Sénat, vise à mieux organiser le système de soins sur le territoire.
C'est un peu le coeur nucléaire de la réforme Bachelot. Les agences régionales de santé (ARS), créées par la loi hôpital, patients, santé et territoires, devraient durablement modifier le paysage sanitaire français, en instaurant une plus grande coordination entre l'hôpital, la médecine de ville et le secteur médico-social.
A l'origine consensuelle, cette tentative de rationalisation du système de soins se heurte à des critiques croissantes, eu égard aux importants pouvoirs qu'auront les directeurs d'ARS. L'Etat et l'assurance-maladie se sont également fortement opposés sur les prérogatives des ARS : une querelle que devra trancher le Sénat qui se penche depuis mercredi 20 mai sur le périmètre des futures agences.
C'est en 1993, dans le rapport « Santé 2010 » du commissariat général au plan - et sous la plume de Raymond Soubie, aujourd'hui conseiller social de Nicolas Sarkozy -, qu'apparaît pour la première fois la notion d'ARS. Il s'agissait, déjà, de clarifier l'imbroglio administratif qui caractérise le système de santé français.
Une demi-douzaine d'organismes différents, aux statuts parfois concurrents, interviennent sur un même territoire. Certains, comme les agences régionales d'hospitalisation (ARH), ont compétence sur le secteur hospitalier ; d'autres, comme les unions régionales des caisses d'assurance-maladie (Urcam) sont les interlocuteurs des médecins de ville. Quant au médico-social (personnes âgées, handicapés), il relève de la tutelle des conseils généraux.
« HYPER-PRÉFET SANITAIRE »
Les ARS devraient regrouper ces compétences sous une même direction, afin de coordonner les structures de soins au plus près des patients. Mais parce qu'elle va donner lieu à une des plus importantes opérations de déconcentration de ces dernières années - au total, pas moins de 12 000 personnels d'Etat seraient concernés par ce regroupement -, la création des ARS suscite de fortes inquiétudes.
Le mode de nomination des directeurs, en conseil des ministres, fait craindre une reprise en main de l'Etat. « Le gouvernement institue un hyper-préfet sanitaire, une figure tutélaire formée au bien connu tropisme présidentiel : une seule tête, un seul chef, un seul patron », dénonce le sénateur socialiste Bernard Cazeau.
Le fait que les futures agences soient dotées d'un conseil de surveillance, présidé par le préfet, renforce les craintes d'une trop grande centralisation. « Les ARS ne sont pas équilibrées par des contre-pouvoirs suffisants, pointe Daniel Benamouzig, sociologue, chargé de recherche au CNRS. Il faudrait faire du Montesquieu plutôt que du Bonaparte sur la santé. »
Il n'est toutefois pas certain que les ARS auront les coudées franches pour modifier le système de soins. Une bataille sourde oppose depuis plusieurs mois le ministère de la santé et la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), le premier cherchant à s'arroger la régulation de la médecine de ville, traditionnel pré carré de la seconde. Sur fond de désaccord entre la ministre de la santé, Roselyne Bachelot, et le directeur de la CNAM, Frédéric Van Roekeghem, l'assurance-maladie fait tout pour que ses prérogatives en matière de gestion de risque ne soient pas transférées aux ARS. Elle fait valoir son savoir-faire en matière de campagnes d'action sur les médecins et les assurés (promotion des génériques, baisse des arrêts de travail, des antibiotiques...), qui produisent aujourd'hui leurs effets.
Pour l'heure, le débat n'est pas tranché. Sensible aux arguments de l'assurance-maladie, la commission des affaires sociales du Sénat a tenté de concilier les deux légitimités en créant un comité de pilotage national, lieu de dialogue entre l'Etat et l'assurance-maladie.
La CNAM pourrait donc continuer à donner ses instructions aux CPAM, tandis que les ARS auront un droit de regard sur leur action. Le risque de double commande et de luttes intestines est donc réel. « A l'origine, tout le monde était d'accord sur la nécessité de créer les ARS, résume le député (UMP, Bas-Rhin) Yves Bur. Mais aujourd'hui, chacun a peur qu'on empiète sur son territoire. Il se passe sur les ARS ce qui s'est passé sur la réforme de l'hôpital : comme chacun veut garder ses prérogatives, c'est la logique de la réforme qui pourrait être compromise. »
Cécile Prieur
Article paru dans l'édition du vendredi 22 mai 2009 du Monde
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