Inquiétude autour des tarifs des maisons de retraite
Le document fait l’objet de critiques de toutes parts. Le ministère du travail a envoyé aux professionnels de la prise en charge des personnes âgées un projet de décret, en date du 23 juin dernier, qui modifie la tarification dans les établissements publics et associatifs. Le texte, que s’est procuré La Croix , fixe de nouvelles règles pour la gestion financière des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (les Ehpad) et instaure de nouvelles modalités de calcul du tarif hébergement, une des trois composantes du prix de journée, avec les soins et la dépendance.
C’est la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009, votée en fin d’année dernière, qui oblige à ces révisions. Le nouveau système, qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2010, met en place une tarification « à la ressource » et en « fonction des besoins des personnes », selon le document. Concrètement, il apporte deux principaux changements.
D’une part, le texte généralise l’attribution d’une dotation globale aux Ehpad pour les soins et la dépendance, calculée à partir d’indices moyens. Cela signifie que les établissements recevront une enveloppe qu’ils devront gérer eux-mêmes. L’objectif est d’aller vers une convergence des tarifs entre les différents départements, concernant la dépendance.
Libéralisation des tarifs en vue
D’autre part, le projet de décret crée une nouvelle tarification pour l’hébergement, la part prise en charge par les familles ou la personne âgée. Le texte préconise de laisser la maison de retraite fixer elle-même son prix de journée pour les personnes qui ne bénéficient pas de l’aide sociale. L’évolution de ce tarif doit cependant être ensuite encadrée, pour tous les résidents, aide sociale ou non, par la direction de la concurrence et des prix, comme pour les établissements privés.
C’est cette mesure qui fait bondir les familles. Elles craignent en effet une forte hausse du prix de l’hébergement. « Cet élément va servir de variable d’ajustement pour les maisons de retraite », redoute Joëlle Le Gall, présidente de la Fédération nationale des associations de personnes âgées et de leurs familles (Fnapaef).
« Comme les dépenses de soins et de dépendance devront être couvertes par les dotations globales attribuées et plafonnées, la tentation sera grande d’augmenter le prix de l’hébergement pour couvrir les frais restants. Les familles vont donc devoir mettre un peu plus la main à la poche », s’indigne-t-elle.
La crainte d'un système à deux vitesses
Et d’anticiper une possible dérive vers un système à deux vitesses, séparant les personnes bénéficiant de l’aide sociale et les autres. « Ces dernières, qui paieront plus, pourraient par exemple être en droit de demander davantage de services », redoute-t-elle.
Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), craint lui aussi des discriminations entre résidents. Il va même plus loin et parle d’une « agression » contre les familles, d’un système à « effets pervers ». « En mettant en place des forfaits globaux, le texte renforce la logique de la convergence entre les établissements et d’une rationalisation budgétaire. En clair, l’État va prendre une partie des dotations des structures qui s’en sortent le mieux pour les redistribuer aux moins bien dotées, tirant le niveau vers le bas », insiste-t-il.
Conséquence : « Nous risquons de devoir faire des économies sur le personnel pour pouvoir payer les médicaments. » Gérard Joubert, qui dirige la maison des Augustines à Meaux (Seine-et-Marne), a calculé que la réforme l’obligerait à supprimer en quatre ans 15 postes sur les 46 que compte son personnel soignant.
L'inquiétude des départements
Au ministère du travail, on explique au contraire que « la réforme apportera une liberté de gestion plus grande aux établissements publics et associatifs, qui pourront mieux anticiper leurs investissements et être plus concurrentiels par rapport aux structures privées ». On ne comprend pas « pourquoi les maisons de retraite refuseraient l’autonomie et la responsabilité offertes ». Sur la question du tarif hébergement, le ministère se veut rassurant et ouvert à la discussion.
Il rappelle que le projet de décret a pour principal objectif d’ «éviter les grandes fluctuations des tarifs d’une année sur l’autre», en raison par exemple de travaux ou d’investissements réalisés dans l’établissement. Certes, les prix seront librement fixés lorsque la personne âgée entrera dans l’établissement. Mais leur évolution sera encadrée par un référentiel départemental des coûts, afin d’éviter les abus, et par un dispositif qui limitera les excédents des établissements. Un contrôle des comptes a posteriori est également prévu par le texte.
Mais d’autres s’inquiètent de ce décret : ce sont les acteurs et financeurs locaux, les départements. Plusieurs d’entre eux ont déjà manifesté leurs appréhensions. Dans un contexte de forte demande de places dans les Ehpad, les établissements pourraient utiliser le prix de l’hébergement comme un outil de sélection pour choisir les résidents les plus riches. Surtout, toute hausse des tarifs se traduirait par une sollicitation plus importante des familles et augmenterait le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale, distribuée par le département. Au final, la mesure, qui pourrait concerner entre 500 et 800 établissements, laisse planer une grande incertitude sur les finances des conseils généraux.
Estelle MAUSSION
Les personnes âgées vivant en institution ont en moyenne un peu plus de 84 ans. Ce sont des femmes dans les trois quarts des cas. Et 84 % de ces résidents sont considérés comme dépendants. Tel est le profil brossé à grands traits de la personne vivant dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées (Ehpa).
C’est ce que nous apprend une étude réalisée auprès de 79 % des 657 000 résidents de ces établissements, publics et privés, en France, étude que vient de publier le gouvernement sous la triple tutelle des ministères en charge de la famille, de la santé et du budget.
Une population de plus en plus âgée
Menée régulièrement depuis 1985, cette enquête, dite Ehpa, montre le vieillissement continu des personnes accueillies en institution, témoignant vraisemblablement d’une double évolution. D’une part, la population française est de plus en plus âgée – en dix ans, le nombre de personnes de 75 ans et plus a augmenté d’un tiers, presque cinq fois plus vite que la population totale, selon les données de l’Insee – et d’autre part, on entre en maison de retraite de plus en plus tard.
La moyenne d’âge des résidents a ainsi augmenté de six mois en quatre ans et de 28 mois depuis l’enquête de 1994. Près des trois quarts des résidents appartiennent au « quatrième âge » : 74 % ont au moins 80 ans – c’est 3 % de plus qu’en 2003. 10 % des personnes de plus de 75 ans vivent en institution. Cette proportion croît logiquement avec l’âge : 24 % des 85 ans et plus sont concernés.
De même, la féminisation de la population des résidents augmente au fil des ans : les hommes sont majoritaires aux âges les moins élevés (jusqu’à 68 ans) mais l’on compte presque quatre femmes pour un homme à partir de 75 ans, et six femmes pour un homme à partir de 90 ans.
Une dépendance accrue
Corollaire de ce vieillissement, la situation de dépendance des personnes accueillies est de plus en plus marquée. D’ailleurs, 76 % des résidents sont hébergés dans des établissements dédiés à l’accueil de personnes dépendantes (les Ehpad), qu’il s’agisse de maisons de retraite, de logements-foyers ou d’unités de soins longue durée (structures les plus médicalisées).
Dans les seuls Ehpad, 85 % des résidents sont dépendants et 51 % sont même considérés comme très dépendants : il leur faut une assistance pour les actes essentiels de la vie quotidienne, ils souffrent de problèmes d’incohérence dans leur comportement ou pour communiquer et peuvent avoir besoin une surveillance régulière. De leur côté, lorsqu’ils sont en capacité d’exprimer leur ressenti, les résidents semblent systématiquement sous-évaluer leur perte d’autonomie, en comparaison avec le diagnostic du médecin.
Marie VERDIER
Ils s’intitulent Cap Retraite, Retraite Plus, ou encore Retraite Assistance, et veulent faciliter la recherche des familles dans le lourd choix d’une maison de retraite pour un parent âgé. Leur but ? En répertoriant les structures, pour la plupart privées, trouver une place dans un établissement adapté en fonction du budget, de la pathologie de la personne dépendante et de la zone géographique.
Des conseillers, souvent issus du monde paramédical, répondent au téléphone. Ils orientent les familles, visitent les établissements ou organisent eux-mêmes les rendez-vous sur place. Et incitent les familles à visiter les maisons.
S’ils se disent « totalement indépendants », ces organismes sont en fait affiliés aux principaux groupes privés de maisons de retraites, à l’image de Korian ou Orpea. Retraite Plus, par exemple, qui couvre 70 % du parc des résidences privées, soit 600 structures, reçoit de leur part des cotisations annuelles. L’organisme refuse rarement un établissement sur ses listes, sauf en cas de tarifs exorbitants, mais dit aussi se baser sur des critères de qualité.
Des contrôles fréquents
Ainsi, « au moins 3 % du budget de la maison de retraite doit être alloué à la formation du personnel », souligne Bernard Cayatte, directeur de Retraite Plus et ancien dirigeant de Cap Retraite, qui poursuit : « Un programme de vie doit également être prévu pour les personnes âgées, sans quoi on ne voit pas comment elles pourraient être véritablement prises en charge. »
Contactés par des médecins gériatres, des kinésithérapeutes ou directement par la famille, ces organismes doivent parfois réagir dans l’urgence, quand la personne âgée est arrivée à un degré de dépendance qui rend dangereux son maintien à domicile. Certains s’interrogent toutefois sur la fiabilité de leurs contrôles au sein des établissements, où peuvent survenir des problèmes de maltraitance.
« On a retrouvé dans leurs listes des noms d’établissements avec lesquels nous avons eu de graves problèmes. Mais la situation est, il est vrai, très aléatoire, avance ainsi Marie-Thérèse Argenson, présidente de l’association VE.DI.BE (Vieillir dans la dignité et le bien-être). Une maison de retraite peut être sûre à un moment, puis il suffit d’un changement de direction deux ans après pour que tout vire à la catastrophe. »
"Il n’y a de bon contrôle que l’œil du client"
Les organismes intermédiaires estiment pour leur part arriver à prévoir les éventuels risques. « Nous sommes très vigilants et nous prenons en compte les remarques des familles, soutient Bernard Cayatte. Si nous avons de leur part des plaintes répétitives, cela peut nous conduire à éliminer certains établissements, pour négligence ou pour dysfonctionnement. Il nous est arrivé d’en suspendre certains de nos listes pour six ou sept mois. »
Retraite Plus planifie ponctuellement des visites inopinées et maintient le lien avec les familles des résidents pendant quatre-vingt-dix jours après l’entrée en maison de retraite. Un garde-fou qui ne suffit pas à éteindre une certaine méfiance.
« À partir du moment où des liens commerciaux directs existent avec les maisons de retraite, on ne peut qu’être réservé, estime Françoise Garcin, spécialiste des questions de gérontologie. Il n’y a de bon contrôle que l’œil du client, encore plus en matière de maison de retraite. Car ce choix-là engage des personnes fragiles et vulnérables. » Malgré l’essor de ces numéros Verts de conseil à destination des familles, la qualité de leurs services reste encore peu évaluée.
Marilyne CHAUMONT
La tarification actuelle
Elle est définie par la loi du 21 juillet 2001, qui impose trois tarifs distincts.
1. Le tarif hébergement : il inclut les frais d’hôtellerie, de restauration, d’entretien et ceux relatifs aux loisirs. Il est payé par la personne hébergée ou par sa famille.
2. Le tarif soins : il concerne les dépenses engagées pour effectuer ces soins, personnel médical et matériel professionnel. Il est pris en charge par la sécurité sociale.
3. Le tarif dépendance : il comprend le coût lié à l’assistance dans la vie quotidienne de la personne. Le degré d’autonomie de celle-ci est qualifié sur une échelle de 1 à 6, du fort handicap au plus léger.
Les aides
Les personnes âgées peuvent demander des aides pour financer leur séjour. L’aide sociale leur est attribuée en fonction de leur âge et de leurs ressources pour prendre en charge le tarif hébergement. Depuis 2002, les personnes dépendantes peuvent bénéficier de l’Allocation personnalisée d’autonomie, calculée en fonction de l’âge de la personne et de son degré de dépendance.
Les différents acteurs
Il y a plus de 10 300 établissements (dont 8 000 médicalisées) qui accueillent 685 000 personnes âgées en France. 40 % de ces établissements sont publics, 40 % sont gérés par le secteur privé non lucratif (associations) et 20 % relèvent du secteur privé lucratif. Le secteur emploie environ 350 000 personnes, dont 180 000 pour le seul personnel soignant.
Le coût
L’assurance maladie verse plus de 6,6 milliards d’euros par an au titre du tarif soins (avec la journée de solidarité). Les départements participent à la dépendance à hauteur de 1,5 milliard d’euros et à l’aide sociale pour 1,1 milliard d’euros. Les résidents payent un reste à charge moyen d’environ 1 600 € par mois. Pour une maison de retraite médicalisée, il faut compter entre 1 500 € et 1 850 € et jusqu’à 4 500 € à Paris
Alors que l’Italie est le pays d’Europe comptant proportionnellement le plus de personnes âgées, beaucoup sont démunies, et seuls 3 % des plus de 75 ans vivent en maison de retraite, en raison du coût et du manque de places
Du café, du pain, des pâtes, du jambon, des pignons et du basilic pour préparer le pesto – la sauce au pistou, une spécialité de la Ligurie –, c’est la liste des courses dressée régulièrement, depuis le début de l’été, par une quinzaine de personnes, âgées de 65 à 96 ans, qui avaient pris l’habitude de briser leur solitude estivale en se rencontrant dans un des parcs publics de la ville de Gênes, à l’ombre d’arbres centenaires. Ce même parc où elles ont fait connaissance avec un groupe de jeunes Roumains.
De bavardages en bavardages, ces retraités avaient fini par accepter l’offre de leurs nouveaux amis. Ces derniers avaient proposé de voler dans des supermarchés les aliments dont ils avaient besoin et de les leur revendre à moitié prix. L’échange se faisait derrière des buissons, deux à trois fois par semaine, jusqu’au jour où les carabiniers ont débarqué et mis fin à ce trafic de pauvres entre pauvres. Ugo, l’un des retraités, a expliqué qu’ils n’avaient pas d’autre choix. « Nous sommes seuls, notre pension de retraite n’atteint pas 500 € par mois, nous avons faim. »
Le pourcentage de plus de 65 ans le plus élevé d'Europe
Face à une telle réalité, les carabiniers ont reconnu qu’ils se sentaient désolés. « Que dire à une femme de 70 ans qui pleure en tordant ses mains en tous sens parce qu’elle a peur que sa famille et ses voisins découvrent sa détresse ? », s’interroge le maréchal Francesco Lo Vecchio, avant de souhaiter que la justice ne poursuive pas ces 15 personnes, mais les oriente vers des services sociaux en mesure de les aider.
Malgré une forte tradition de solidarité familiale, qui tente de compenser l’inefficacité des politiques sociales, l’Italie n’échappe pas aux drames des retraités abandonnés à leur propre sort. Dans ce pays où un citoyen sur cinq a plus de 65 ans – pourcentage le plus élevé d’Europe –, seules 3 % des personnes de plus de 75 ans vivent dans des maisons de retraite. Nombreuses sont les familles qui ont des difficultés à prendre en charge leurs proches, âgés et malades, mais renoncent aux structures publiques parce que les listes d’attente sont trop longues et aux structures privées parce qu’elles coûtent trop cher.
L’État verse toutefois une pension de retraite minimum à tous les Italiens de plus de 65 ans, quelle que soit leur situation au regard de leurs cotisations à l’Institut national de prévoyance sociale. Ainsi, un maçon qui a toujours travaillé au noir recevra lui aussi cette pension minimale, qui équivaut au loyer mensuel d’une chambre d’étudiant à Rome, Milan ou Florence.
Miser sur les auxiliaires de vie
L’État prévoit aussi le versement d’une indemnité d’accompagnement de 472 euros par mois pour les personnes non autosuffisantes. Dans la plupart des cas, les familles choisissent d’utiliser cette somme pour les fameuses badante, gardes-malades et aides ménagères. La régularisation de 300 000 à 400 000 de ces auxiliaires de vie étrangères, annoncée en juillet par le gouvernement Berlusconi, démontre clairement qu’elles sont indispensables.
Selon un rapport publié par le Censis, centre d’études et d’investissements sociaux, au moins 2,5 millions de familles italiennes (soit 10 % des familles) ne peuvent se passer de ces auxiliaires de vie, parmi lesquelles on dénombre 72 % d’immigrées, payées 800 euros à 900 euros par mois pour 35 heures de travail par semaine. Leur nombre ne cesse d’ailleurs d’augmenter, il est estimé à 1,5 million, soit 37 % de plus qu’en 2001.
Sachant que les plus de 60 ans constitueront 69,7 % de la population en 2050, selon l’Istat, l’Institut national des statistiques, le gouvernement s’oriente de plus en plus vers une politique d’assistance aux personnes âgées au moindre coût. Pas de grands projets de construction de maisons de retraite, ou de résidences troisième et quatrième âge, en revanche de plus en plus d’initiatives fleurissent dans diverses régions (Ombrie, Toscane, Latium et Vénétie, notamment) pour offrir aux badante des cours d’intégration culturelle et de formation – d’une durée moyenne de 150 heures – leur permettant de mieux jouer leur rôle.
Anne LE NIR, à Rome
En effet, la publicité de ces appels à projet va permettre à des groupes importants d’y répondre systématiquement, ce qui ne sera pas le cas du public. Pour les résidents, cette évolution ne constituera pas un changement majeur, si ce n’est une meilleure adaptabilité des maisons de retraite à leurs besoins. En effet, les appels à projet seront l’aboutissement des projets régionaux de santé, qui sont censés avoir identifié les besoins en termes de prise en charge, notamment en consultant les familles. »
Recueilli par Olivier FAURE
Le gouvernement français prévoit de modifier les règles relatives à la tarification des établissements accueillant les personnes âgées dépendantes. Le projet de décret, que s'est procuré La Croix, est loin de faire l'unanimité parmi les acteurs qui interviennent dans les maisons de retraite
Lire le projet de décret (Source : Ministère du travail)
Articles publiés le mardi 18 août 2009 sur le site http://www.la-croix.com