"La dette, un alibi facile pour justifier les régressions"-Bernard THibault (CGT)

Publié le par sphab/cgt & associés

Un entretien de Bernard Thibault,Secrétaire général de la cgt, au journal "l'humanité" (24 novembre 2011)

 

 

« La dette, un alibi facile pour justifier les régressions»

 

« Le président de la République dessine une mise en pièce de la Sécu », affirme le secrétaire général de la CGT. Il appelle les salariés à exercer leurs droits de citoyens et à être aussi les acteurs des mobilisations syndicales.

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L'intersyndicale vient de décider une campagne d'information du 1er au 15 décembre avec un temps fort de rassemblements le 13. Est-ce que ce n'est pas insuffisant au regard des mesures prises par le gouvernement ?


Bernard Thibault. Il est indispensable que les syndicats, les salariés apparaissent dans une démarche unie pour contester les mesures d'austérité décidées d'autorité par le gouvernement. Des pans entiers du contrat social sont aujourd'hui remis en cause de façon unilatérale. C'est grave pour la démocratie. On constate qu'en Grèce ou en Italie, c'est sous la pression des agences de notation que se fait la désignation des chefs d'état. Il y a besoin d'une opération vérité. Non seulement ces mesures ne sont en aucun cas susceptibles de nous faire sortir de la crise, mais elles ne vont qu'amplifier les risques d'une récession. Les ripostes syndicales s'organisent le 24 novembre au Portugal et en Bulgarie, le 30 novembre en Grande-Bretagne, le 2 décembre en Belgique.


Peut-on lutter contre les agences de notation ?


Bernard Thibault. Ce n'est pas un phénomène naturel qui conduit les agences de notation à faire la pluie et le beau temps. Les chefs d'état l'ont organisé. Il y a une hypocrisie de la part de Nicolas Sarkozy qui tantôt dit pis que pendre de ces agences, annonce la fin du capitalisme financier et la disparition des paradis fiscaux dès 2009, pour aujourd'hui développer une argumentation opposée : il faudrait s'agenouiller devant ces agences qui seraient les révélateurs de la bonne santé de l'économie. En réalité, elles sont les révélateurs d'une économie spéculative au service des investisseurs internationaux et de leurs actionnaires.


Est-ce que les salariés sont prêts à se mobiliser ?


Bernard Thibault. Ils s'interrogent sur ce que l'on peut faire pour arrêter cette spirale insupportable. Il y a des échéances électorales qui peuvent laisser croire que tout va se trancher à cette occasion. Ce sera naturellement un moment important. Mais compte tenu de ce à quoi nous sommes confrontés, il faut dire les choses clairement : quelles que soient les majorités politiques, la pression des agences de notation ne va pas disparaître ; l'exigence de rentabilité financière qui règne dans les entreprises, le chantage des marchés à la réduction des dépenses publiques qui minent le contrat social ne vont pas s'arrêter en mai 2012. Les salariés doivent se mobiliser. Le 13 décembre est conçu pour cela. Le président de la République dessine une mise en pièces de la Sécurité sociale. J'alerte sur la portée de l'offensive en cours pour changer les mécanismes de financement de la Sécurité sociale : ce fameux transfert des cotisations sur l'impôt revendiqué par le Medef et relayé par Nicolas Sarkozy est un anéantissement des principes de base de la Sécurité sociale. Notre pays a les moyens de s'extraire de la pression des marchés financiers. Nous préconisons la mise en place d'un pôle financier public dont une des vocations serait d'assurer les besoins des pays.

 

Vous critiquez les mesures d'austérité mais il faudra bien résoudre le problème de la dette.

 

Bernard Thibault. Désormais, la dette sert d'alibi facile pour justifier toutes les régressions. Le président de la République a prononcé début novembre, à Strasbourg, une phrase révélatrice de sa démarche : « La crise va créer beaucoup de souffrances mais ce peut être une opportunité pour notre pays de prendre des mesures qu'il n'aurait jamais acceptées. » D'où cette volonté de noircir le tableau.


Si Nicolas Sarkozy veut chasser les principaux voleurs et fraudeurs de notre pays, la CGT sera à ses côtés et peut lui désigner quelques cibles. Déjà en 2006, l'UMP analysait que 10 à 12 % des entreprises étaient en infraction par rapport à leurs obligations vis-à-vis de la Sécurité sociale, que 5 à 7 % des salariés n'étaient pas déclarés par les entreprises. Le travail dissimulé représente toujours entre 8 et 15 milliards d'euros de vol de la Sécu, la sous-déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles 1 milliard. 80 % des fraudes sont l'œuvre d'établissements de santé et de certains professionnels, pas des assurés. On supprime des postes de fonctionnaires chargés de faire reculer la fraude fiscale qui représente 45 à 50 milliards d'euros Au nom des déficits, on s'attaque au noyau dur du contrat social : la Sécurité sociale, les retraites, le temps de travail.


Vous parlez de « mise en pièces de la Sécurité sociale » à propos de la réforme annoncée de son financement. En quoi, selon vous, passer à un financement par l'impôt est-il si dangereux ?


Bernard Thibault. Il y aura une croissance des dépenses de santé dans notre pays, c'est inévitable. La consommation de soins et de biens médicaux est passée de 98 milliards en 1995 à 175 milliards en 2009. L'augmentation de la population, l'espérance de vie qui augmente et les progrès qui permettent de soigner des pathologies qu'on ne pouvait pas soigner hier expliquent cette croissance. L'un des enjeux majeurs, c'est de savoir si nous allons conforter un système collectif et solidaire pour prendre en charge ces besoins de santé au sein de la Sécu ou si la santé de chacun dépendra un peu plus de l'épaisseur de son portefeuille pour se payer son assurance. La revendication du patronat de transférer une part des ressources de la Sécurité sociale vers l'impôt, tout comme l'annonce d'un haut conseil du financement de la protection sociale pour préparer l'instauration d'une TVA dite sociale ou anti-délocalisation, minerait le système solidaire.


Mais la France a-t-elle les moyens d'assurer cette protection sociale de haut niveau ?


Bernard Thibault. Si on rapporte l'augmentation des dépenses de santé au PIB, c'est-à-dire aux richesses créées dans le pays, cela représentait 10,4 % en 1995 et 11,7 % en 2009. Il y a un choix de société à faire mais on ne peut pas dire que la France n'a plus les moyens. Les cotisations sont une part du salaire, un salaire socialisé. Elles n'appartiennent pas au patronat.


Mais est-il interdit de penser qu'il y a des économies à faire sur les dépenses publiques ?


Bernard Thibault. On peut trouver de nouvelles ressources par des réformes fiscales et la création d'emplois pour permettre aux besoins sociaux d'être satisfaits. 172 milliards d'euros par an d'argent public distribués aux entreprises par l'état et les collectivités locales sans outils d'évaluation de leur pertinence. PSA, Montupet ont reçu des aides publiques et détruisent des emplois. Il y a des dépenses publiques à remettre en cause.


Les revendications patronales sont formulées au nom de la compétitivité vis-à-vis de l'Allemagne notamment...


Bernard Thibault. Dans tous les pays, c'est toujours au nom de l'emploi qu'on justifie la mise en cause des droits des salariés, et pourtant le chômage et la précarité progressent partout. Depuis de longs mois la CGT se bat contre le sabotage de notre potentiel industriel. La balance commerciale dans l'industrie pour 2010 était en déficit de 66 milliards d'euros alors qu'elle était en équilibre il y a une dizaine d'années. On est dans le rouge. En comparaison, celle de l'Allemagne est excédentaire de 154 milliards d'euros. L'Allemagne pratique des salaires supérieurs à la France et pour un temps de travail inférieur. IG Metal vient de signer pour une augmentation de 3,8 % des salaires pour les métallurgistes ouest-allemands. Ce n'est donc pas le coût du travail qui est en cause. Le problème est d'abord l'absence de politique industrielle structurée pour inverser la tendance. C'est aussi le sous-investissement. L'an dernier, les entreprises industrielles et de services (hors les banques et assurances) ont injecté 180 milliards d'euros en investissements. C'est inférieur à la somme des dividendes versés aux actionnaires, 210 milliards d'euros. Voilà le malaise.


Ce que vous proposez prend à contre-pied ce qui se fait en Europe. Est-ce crédible ?


Bernard Thibault. L'Europe est dans une impasse politique majeure. Elle est dans l'incapacité de dessiner un avenir mobilisateur du point de vue social du fait des choix actuels. Le marché européen devait produire un espace de progrès social. Ce constat est révolu. Cela s'est accompagné d'une offensive sur les services publics au nom de la concurrence libre et non faussée érigée en dogme. Les syndicats en Europe ont d'ailleurs décidé d'une journée d'action le 30 novembre pour défendre les services publics. Il ne sera pas praticable de rester dans cette logique où le marché est l'unique fin et moyen de cette construction européenne. Si on est incapable de redonner une dimension sociale à l'Europe, seuls ceux qui prônent le repli nationaliste en maniant racisme et xénophobie se feront de plus en plus entendre. Les tensions seront immenses.


Cela vous inquiète ?


Bernard Thibault. Oui. On a fait l'Europe pour vivre dans un continent fait d'harmonie et de solidarité, nous a-t-on dit. Ce n'est pas cela qui inspire les gouvernements et les institutions européennes. Quel écart entre l'affirmation d'une « union » européenne et le spectacle stupéfiant à l'occasion du G20 où deux chefs d'état dictent la conduite à tenir à d'autres chefs d'état ! L'Europe est un espace où on se livre à une guerre économique. Elle ne sera pas viable. Il n'y a jamais eu autant de manifestations, de mouvements de grève dans tous les pays européens que ces derniers mois. Il y a un divorce de plus en plus important entre la représentation politique et les aspirations sociales. Voir l'arrivée de l'extrême droite dans un gouvernement comme en Grèce au titre de l'union nationale, c'est une banalisation inquiétante. Il faut un réel débat sur les politiques à mener, qui impliquent les peuples, et pas seulement sur la couleur politique des majorités au pouvoir. Et ceux qui pensent résoudre cela en transférant plus de pouvoir à un échelon européen prennent le risque d'une implosion de l'Europe.


Est-ce que la proximité des élections du printemps prochain ne crée pas un climat d'attente chez les salariés, peu propice à l'action syndicale ?


Bernard Thibault. Ce serait une erreur de considérer que seule la consultation électorale va régler tous les problèmes. Regardons comment procèdent les employeurs : ils sont toujours très offensifs en période électorale pour faire en sorte que tous les candidats intègrent leurs revendications. Si les salariés s'en remettaient aux candidats, quels qu'ils soient, dans une forte délégation de pouvoir, ils seraient très largement déçus. Les solutions à la crise dépendent de réformes structurelles qui appellent l'intervention des salariés. Elles ne seront pas obtenues sans rapport de forces. Ce sont les agences de notation qui convoquent les conseils des ministres pour leur dicter des mesures d'austérité. Ce chantage ne va pas disparaître avec un changement de président de la République. Ce qui ne veut pas dire qu'il y aura dans les prochains mois une incitation de la CGT à conserver le même président !


Ces idées, vous voulez les mettre dans le débat électoral ?


Bernard Thibault. Oui, par la mobilisation. J'ai évoqué le 30 novembre à propos des services publics. Nous allons relayer l'appel intersyndical et appeler à la mobilisation et aux rassemblements du 13 décembre. Nous relançons notre action sur le développement industriel avec des initiatives de nos régions au moment où il y a beaucoup de conflits avec des occupations d'entreprise pour empêcher les coups portés à notre potentiel industriel. Nous allons également tenir un grand meeting national le 31 janvier pour rappeler les revendications sur les retraites. Des millions de salariés se sont mobilisés en 2010 pour la retraite à 60 ans, la reconnaissance de la pénibilité, le système par répartition et de nouvelles ressources pour le financer. Le combat continue.


Nous dialoguons avec les partis et les candidats qui voudront discuter avec nous, mais c'est surtout vers les salariés que nous allons nous tourner pour qu'ils exercent leurs droits de citoyens, en connaissant les analyses de la CGT, et qu'ils soient aussi acteurs dans un rapport de forces syndical pour défendre les revendications.


Que pensez-vous du climat dans le monde du travail ? Il semble pesant, il y a beaucoup de souffrances.


Bernard Thibault. Un climat très anxiogène est entretenu. On voudrait accréditer l'idée qu'il n'y a pas d'alternative à la précarité sociale, qu'il faut s'agenouiller devant des organismes qui n'ont rien de démocratique. Cela questionne sur les mécanismes du vivre ensemble, de la démocratie. On ne sait plus où sont les centres de décision. Cela pèse sur le climat, il ne faut pas s'en désoler mais travailler à des alternatives, et la CGT est parmi les acteurs qui défendent des alternatives. Les salariés ont tout à perdre à rester spectateurs. On ne leur a jamais rien accordé, c'est la logique du capitalisme. A chaque fois qu'il y a eu des progrès sociaux, en France et dans le monde, il a fallu les arracher par l'action syndicale.

 

Entretien réalisé par Olivier Mayer

 

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