Loi sur la représentativité
Cela s'est joué à peu de chose. Lors des dernières élections professionnelles d'AXA France, il a manqué à Force ouvrière 18 voix, parmi 16.000 collaborateurs, pour franchir la barre des 10 % des suffrages, et rester ainsi représentatif chez l'assureur. Avec un score de 9,3 %, la CFTC, elle aussi, a perdu le droit de se rendre à la table des négociations. Au siège, seuls quatre syndicats restent représentatifs. Ils étaient six en 2008. Mais ce n'est pas allé sans remous, FO contestant au tribunal la validité des élections. Et protestant contre le « chèque syndical », attribué par AXA aux salariés pour financer le syndicat de leur choix et dont FO ne peut plus bénéficier. Force ouvrière a perdu la bataille.
Censée rénover le dialogue social dans les entreprises, la loi du 20 août 2008 a bouleversé les règles de la représentativité syndicale. Le législateur a souhaité renforcer la légitimité des syndicats en validant périodiquement leur audience lors d'élections professionnelles. Au fil des scrutins, ses premiers effets se font sentir. Et ils sont parfois chaotiques.
Instabilité et fébrilité
A en croire une enquête de l'Association nationale des DRH (ANDRH), l'enjeu des élections a généré des « situations tendues ». Certaines organisations ont durci le ton. Comme chez Eurocopter, où la CGT et la CFTC ont été balayées par les urnes en 2010, trois syndicats gardant voix au chapitre. « Pendant les six mois qui ont précédé le vote, il était difficile de négocier de façon rationnelle, reconnaît Philippe Pezet, DRH d'Eurocopter. Même les négociations salariales de 2011 ont subi un effet post-électoral avec, notamment, une pression forte de FO, dont l'audience a baissé. »
Même agitation à la RATP : à l'approche du scrutin, les partenaires sociaux ont mis plus de six mois à conclure un nouvel accord sur le droit syndical. Du jamais-vu, foi de Jean-Marc Ambrosini, directeur délégué aux RH de la régie : « Les nouvelles règles créent de l'instabilité dans le paysage syndical, rendant nos interlocuteurs fébriles. Et ce de façon durable, puisque, tous les quatre ans, leur avenir est remis en cause. Leurs comportements dictés par le court terme ne favorisent pas le dialogue social. »
Côté syndical, le bilan est mitigé. « Cela pousse les syndicats, pour asseoir leur légitimité, à se rapprocher des salariés et à ne plus usurper le droit de parler en leur nom. Mais les situations sont hétérogènes : il y a des militants et des DRH qui prennent leurs responsabilités. Mais certaines entreprises ne jouent toujours pas le jeu. Et la loi a exacerbé la concurrence entre syndicats », estime Marcel Grignard, secrétaire général adjoint de la CFDT chargé du dialogue social.
Mariages de raison
Difficile, en effet, d'y voir clair, tant les stratégies syndicales ont été différentes, voire contradictoires, d'une entreprise à l'autre. « D'un côté, certaines alliances se sont dénouées pour que chaque organisation mesure son audience électorale ; de l'autre, des syndicats qui se sentaient menacés ont fait liste commune, relève Jean-Christophe Sciberras, président de l'ANDRH. Donc le pari de la loi, qui était d'éclaircir le paysage par des disparitions ou des regroupements, semble loin d'être tenu. »
Quelques mariages ont réussi, entre la CFE-CGC et l'Unsa à La Poste ou chez France Télécom Orange. « Nos idéaux étaient proches. Et le personnel, lassé de voir les syndicats passer leur temps à s'opposer, a été séduit par notre démarche de fusion. Aujourd'hui, cela fonctionne d'autant mieux que nos nouveaux militants ne connaissent pas nos passés », raconte Sébastien Crozier, président de CFE-CGC - Unsa France Télécom Orange. L'alliance a récolté 12 % des votes, contre 2 % pour chacune des entités lorsqu'elles faisaient cavalier seul.
Plutôt que d'opérer des rapprochements avec leurs ennemis d'hier, certains militants ont préféré « aller au charbon » pour conquérir des troupes. Parfois avec succès, comme chez PSA, où la CFDT et la CFTC ont récolté 12 % chacune au dernier scrutin.
Les DRH, eux, tentent de s'adapter. « Moins il y a d'organisations à la table des négociations, moins il y a de combinaisons possibles pour conclure un accord majoritaire, souligne Corinne Guillemin, directrice des affaires sociales d'AXA France. Cela peut conduire à rechercher davantage le consensus. » La tâche n'est pas toujours facile. Car, pour être valable, un accord avec la direction ne peut être ratifié que si ses signataires regroupent au moins 30 % des voix et que la majorité (50 %) ne s'y oppose pas. « Une contrainte forte pour certains DRH », estime Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail.
Un défi pour les DRH
Certains syndicats deviennent incontournables. A l'instar de la CFDT chez AXA France, qui a obtenu 35 % dans les urnes. Dans certains bastions ouvriers, des syndicats contestataires restent majoritaires. « Dans une usine, la CGT a finalement signé un accord d'intéressement avantageux, qui accordait aux salariés deux mois de salaire supplémentaires ! Auparavant, elle laissait ce soin aux syndicats minoritaires. Lorsque les autres organisations totalisent moins de 30 %, tout risque d'être bloqué, raconte Thierry Heurteaux, dirigeant chez Pactes Conseil. Parfois, les DRH mènent la négociation en ayant à l'esprit ce qu'il va falloir lâcher à la CGT pour qu'elle n'exerce pas son droit d'opposition. »
Autre point relevé par l'ANDRH, les divergences entre « local » et « national ». Ainsi, chez AXA France, FO et la CFTC restent représentatifs dans quatre établissements sur dix. Au risque, pour Jean-Christophe Sciberras, de voir les accords signés par les délégués centraux combattus sur le terrain par les absents des négociations. Et vice versa : quand des syndicats représentatifs à l'échelle du groupe ne le sont pas sur les sites, l'entreprise manque de relais pour déployer ses accords. « Quand la représentativité diffère entre les différents niveaux de négociation (établissement, entreprise, branche et national), cela peut créer des distorsions délicates à orchestrer », souligne Philippe Dorge, directeur des relations sociales chez PSA Peugeot Citroën.
Au final, la loi a-t-elle ragaillardi le dialogue social dans les entreprises ? A l'ANDRH, Jean-Christophe Sciberras ne constate pas d'amélioration notable. A ses yeux, il « manque aux syndicats des adhérents pour être plus proches des préoccupations des salariés, ce que ne résout pas cette loi ». Lors de ses assises nationales, ce vendredi à Paris, son association entend faire des propositions innovantes dans ce sens. Par exemple, que les entreprises incitent leurs troupes à se syndiquer. A tout le moins, un choc culturel !
Selon la loi du 20 août 2008 « portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail » :
• Sont considérées représentatives dans les entreprises, les organisations syndicales ayant recueilli 10 % des voix au premier tour des élections professionnelles.
• Seules les organisations représentatives peuvent désigner un délégué syndical pour négocier avec la direction.
• Les syndicats qui n'ont pas recueilli 10 % dans les urnes peuvent nommer un représentant de la section syndicale. Mais ce dernier ne peut pas participer aux négociations.
• Tout accord collectif doit, pour être valide, avoir été signé par un ou plusieurs syndicats rassemblant au moins 30 % des suffrages exprimés.
source: lesechos.fr ( mardi 14 juin 2011)