Retraites : la CGT et la CFDT sortent affaiblies du conflit avec l'exécutif
La messe n'est pas encore dite, mais c'est tout comme. La journée de mobilisation du samedi 6 novembre contre la réforme des retraites, la huitième depuis la rentrée, a été nettement moins suivie que les précédentes. La police a avancé le chiffre de 375 000 manifestants dans toute la France et la CGT celui de 1,2 million. On est loin des records d'octobre - de 1,23 million à 3,5 millions de manifestants, selon les sources - à un moment, il est vrai, où la loi n'était pas encore votée.
L'intersyndicale se réunit lundi 8 novembre au siège de la CGT pour arrêter les modalités et le contenu de ce qui devrait être un ultime rendez-vous unitaire de contestation de la réforme. Cette réunion s'annonce délicate du fait des divergences entre syndicats sur la conduite du mouvement et sur son avenir.
"Si la CGT voulait vraiment cogner sérieusement et exiger le retrait, ce qu'elle n'a jamais demandé, il fallait aussi accepter d'appeler à la grève", a asséné, samedi, le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly. "Depuis le début, FO cherche à diviser le mouvement qui a pris de l'ampleur. Ils ont fait une erreur en étant à côté dès le départ, maintenant ils cherchent à rattraper le temps passé en se présentant comme étant les plus radicaux", a répliqué à distance Bernard Thibault.
Ce début de polémique était prévisible. Avec l'essoufflement de la mobilisation, l'heure des comptes a sonné. Les syndicats vont devoir faire le bilan d'une contestation sociale de plusieurs mois, dont ils ne sortent pas vainqueurs.
Le syndicalisme, ont-ils fait valoir ces dernières semaines avec un bel ensemble, a démontré sa capacité à être entendu et suivi, et son sens des responsabilités. Sans doute. Mais, dans l'immédiat, il est d'abord confronté à un échec. La loi réformant les retraites, dont on attend encore la promulgation, a été votée. Le chef de l'Etat, qui en avait fait un enjeu fort, n'a pas eu à revenir sur le relèvement des âges de la retraite à 62 et 67 ans. A court terme, Nicolas Sarkozy est le seul gagnant de cette affaire. A long terme, c'est une autre histoire : il n'est pas sûr qu'i l soit de bonne politique pour la démocratie sociale et pour la démocratie tout court de se passer de corps intermédiaires et d'acculer à l'échec un syndicalisme qui n'a rien obtenu ni par la proposition ni par la contestation.
Les syndicats ont tous perdu des plumes dans le mouvement mais à des degrés divers. La CGT et la CFDT, ce pivot du syndicalisme français, sortent affaiblies du conflit. Les contradictions internes de la CGT, tiraillée entre la ligne d'ouverture défendue par M. Thibault et ses organisations plus radicales (la chimie, la métallurgie, etc.), ont été exacerbées par la crise. Probablement inquiet pour l'unité de la CGT, M. Thibault, qui effectue son dernier mandat à la tête de la centrale, est resté fidèle à lui-même : il a ménagé les uns et les autres, sans trancher. La ligne de la CGT n'y gagne pas en cohérence. A contrario, Solidaires s'en sort mieux : l'Union syndicale n'a certes pas convaincu les salariés de la nécessité d'un "affrontement central" avec l'exécutif. Mais elle a joué jusqu'au bout la radicalité, tout en préservant sa place dans l'intersyndicale. FO n'a su faire ni l'un ni l'autre.
La CFDT, aussi, est en difficulté. Son secrétaire général, François Chérèque, a probablement réussi à atténuer le souvenir de la "trahison" de 2003 et du ralliement cédétiste à la réforme Fillon. Mais le syndicat, qui incarne une certaine idée du réformisme, ne peut se prévaloir d'aucun résultat concret. L'exécutif n'a pas donné suite aux ouvertures de M. Chérèque sur le terrain de la négociation. Et la proximité du "patron" de la CFDT à l'égard de M. Thibault a fait débat en interne. En revanche, l'UNSA est apparue, au long de la mobilisation, à la fois à l'aise dans son réformisme et plus indépendante à l'égard de la CGT. Elle s'est imposée comme un acteur important du paysage syndical.
Au-delà de ces nuances, la défaite renvoie chaque organisation à la question des limites du syndicalisme : que deviennent les luttes sociales lorsqu'elles n'ont pas de débouché politique ? Et comment articuler démocratie politique et démocratie sociale ? Deux sujets sociaux de choix pour le prochain quinquennat.
source: lemonde.fr (Article paru dans l'édition du 09.11.10)