Marie Dedieu : portrait d'une combattante
Marie Dedieu
portrait d'une combattante
Le quai d'Orsay a annoncé, il y a quelques jours la mort de Marie Dedieu, porte-drapeaux du féminisme de la première heure. La ressortissante française d’origine lorraine avait été kidnappée au Kenya malgré un état de santé extrêmement préoccupant. Revenir sur les combats historiques que Marie Dedieu avait menés dans les années 70 est aujourd'hui la moindre des choses pour honorer sa mémoire.
En France, à la fin des années 60, 250 000 femmes avortent dans la clandestinité malgré l'existence de la pilule contraceptive, une situation révoltante pour nombre de leurs pairs. Proche des fondatrices du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), Marie Dedieu signe au printemps 1971 une pétition qui paraîtra dans le Nouvel Observateur, appelant à légaliser l'avortement. Rédigé par Simone de Beauvoir, le texte cosigné par 343 femmes est le suivant : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre. »
Le texte sera rebaptisé ironiquement « Manifeste des 343 salopes » suite au dessin de Cabu en une de Charlie hebdo exhortant à la réflexion « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste sur l'avortement ? »... (voir photo)
Les 343, s'exposaient ce faisant, à des poursuites pénales pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement comme la loi de 1920 le requérait. Outre le fait que ce manifeste est considéré comme un véritable acte fondateur du droit à l’avortement, il s'agit de l'un des exemples les plus connus de désobéissance civile en France. Il a inspiré en 1973 le manifeste des 331 médecins se déclarant pour la liberté de l'avortement, il servit d'appui à Gisèle Halimi alors qu'au procès de Bobigny, elle défendait une mineure qui s’était faite avorter à la suite d’un viol. Il a enfin et surtout contribué à l'adoption, en décembre 1974/janvier 1975, de la loi Veil qui dépénalisait l'interruption volontaire de grossesse (IVG) lors des douze premières semaines d'aménorrhée.
Après le tollé général provoqué par la parution de ce manifeste, plusieurs féministes n'en restent pas là, dont Marie Dedieu, qui, non contente de participer à cet épisode sans précédent, dans l’amélioration de la condition des femmes en France, continue le combat dans les rangs du MLF. C'est lors d'une assemblée générale du mouvement aux Beaux Arts de Paris que naît l'idée de créer Le Torchon Brûle, premier magazine 100% féministe, dont Marie Dedieu sera la directrice de publication. Le numéro zéro paraît en mai 1971, la publication sera « menstruelle », bien qu'en réalité la parution n'intervienne pas tous les mois. Ouvert à toutes, le magazine sera relativement inégal et pour cause : la rédaction en chef change à chaque numéro, l'équipe rédactionnelle également, le journal se constitue au gré des femmes qui veulent y contribuer. Dans l'éditorial du Torchon numéro 2 on peut lire « Le mouvement, ce sont toutes ces femmes qui se réunissent sur la base de leur révolte pour en mieux comprendre le pourquoi et le comment et pour pouvoir lutter ensemble. Le mouvement de libération des femmes n'est pas une organisation, il n'y a pas et il n'y a pas à avoir d'équipe dirigeante ». Chaque numéro est donc réalisé par une équipe différente, permettant ainsi de rendre compte des nuances et différentes orientations des courants féministes, la plupart des articles ne seront pas signés ou sont collectifs. S'en dégage un parfum de révolte sans précédent.
Édité jusqu'en juin 73, le journal publiera en tout six numéros, vendus en kiosques pour la somme de un franc. S'il demeure irrégulier tant dans sa périodicité que dans son contenu, il exprime non sans maladresses mais toujours avec un humour sans concession l'ardeur du mouvement féministe d'alors. D'autres titres, après 73, prendront sa suite dans une certaine mesure : Le Quotidien des femmes puis Des femmes en mouvements, Magazine puis Hebdo, etc.
Militante brillante, combative et pourtant méconnue, elle a contribué comme tant d’autres féministes, à libérer les femmes de nombres de carcans sociaux et idées reçues à une époque où rien n’était comparable en termes de place faite aux femmes comme à leur parole.
Parallèlement à son combat féministe, Marie Dedieu s'essaye au cinéma aux côté de Jean-Pierre Léaud dans le film « Domicile conjugal » réalisé par François Truffaut. Elle y incarne avec ferveur une prostituée battante et passionnée.
Peu après, ses luttes féministes et velléités de carrière dans le cinéma sont stoppées net par un grave accident de voiture qui la cloue à un fauteuil, lui faisant perdre l'usage de ses quatre membres. Au début des années 90, Marie Dedieu, personnage « solaire et fort » selon ses pairs, retrouve la sérénité au Kenya sur l'île de Manda, proche de Lamu, où elle décide de s'installer. La militante semble se remettre miraculeusement et parvient même à marcher épisodiquement, un exploit qui contredit tous les pronostics des médecins et en dit long sur sa force de caractère.
Parfaitement intégrée à la vie sociale locale et communément appréciée de tous dans l'archipel kenyan, elle y coulait des jours heureux auprès de son mari malgré les affres de la maladie jusqu’à son enlèvement le week-end dernier.
Lorsqu’elle a été kidnappée, Marie Dedieu revenait de voyage, une fois par an, elle retournait dans sa Lorraine natale rendre visite à son père. Si l’état de santé de Marie Dedieu était déjà préoccupant d’ordinaire, c’est l’absence de soin qui découlait de sa captivité (les kidnappeurs n'ayant pris ni ses médicaments, ni son fauteuil roulant) qui serait à l'origine de son décès.
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Les 6 numéros du Torchon brûle ont été réédités en 1982 aux Editions Des Femmes, en un seul volume.
source: http://www.mylorraine.fr/article/marie-dedieu-une-femme-lorraine/8968/